L’Agent orange est un puissant défoliant utilisé par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam pour détruire la couverture végétale qui protégeait les troupes communistes du nord. Son nom est inspiré par la bande de couleur orange peinte sur le fût dans lequel il est stocké. Il est en réalité de couleur rose et brunâtre. Ce défoliant contient de la dioxine, qui est considéré comme le produit chimique le plus toxique pour les êtres humains et l’environnement. Aujourd’hui, le Vietnam continue de payer cher les conséquences de cette guerre malgré sa fin depuis près de 50 ans. En effet, les effets à long terme des défoliants chimiques, notamment l’agent orange, sur la santé et l’écosystème sont si dévastateurs que ses conséquences pourraient se faire sentir pendant une centaine d’années.
Fondée en 2004, l’Association Vietnamienne des Victimes de l’Agent Orange (VAVA) est une organisation humanitaire qui travaille à mobiliser tous les appuis nationaux et internationaux pour aider les victimes et protéger leurs droits et intérêts légitimes dans la lutte pour la justice. Aujourd’hui, l’équipe de Carnets d’Asie a le plaisir de rencontrer M. NGUYEN The Luc, président adjoint de VAVA, pour en savoir plus sur les effets catastrophiques de l’agent orange ainsi que sur les efforts humanitaires de VAVA en aidant les victimes au Vietnam.
Bonjour Monsieur, pourriez-vous nous expliquer les effets des défoliants dont l’agent orange utilisés au Vietnam et les raisons de la création de VAVA ?
Pendant la période de 1961 à 1971, environ 80 millions de litres de plus 30 différents types de défoliants furent déversés sur le centre et le sud du Vietnam. Parmi lesquels, l’agent orange représente, à lui seul, 61% et contient environ 336kg de dioxine. Cette substance est considérée comme le produit chimique le plus toxique, avec un millième de milligramme, elle provoque des maladies graves comme des cancers, des maladies neurologiques et des problèmes de fertilité, dont des malformations à la naissance. Une fois que les dioxines ont pénétré dans l’organisme, elles s’y maintiennent longtemps à cause de leur stabilité chimique. De plus, leurs actions sur les gênes se transmettent de générations en générations et constituent ainsi une vraie préoccupation chez les scientifiques.
Selon une enquête américaine, le Vietnam compte environ 4,8 millions de personnes qui ont été exposées à l’agent orange, dont 3 millions ont été contaminés. Près de 50 ans plus tard, les conséquences dévastatrices de la guerre n’ont pas disparues mais elles touchent encore la 3e et même la 4e génération. Personne ne sait exactement combien de générations seront touchées.
Concernant l’effet sur l’environnement, plus 20.000 villages, soit ¼ territoire du pays, furent dangereusement affectés. 80% des zones d’épandage ont été touchées au moins deux fois par les défoliants, pour le reste, elles ont été touchées jusqu’à dix fois. Il existe 28 « points chauds », à savoir les entrepôts des produits chimiques, qui se situent près des aéroports, des quais de déchargement ou des anciennes bases américaines. Les points chauds les plus connus sont les aéroports de Bien Hoa, de Phu Cat, de Da Nang et ses environs. Ces endroits connaissent un très haut niveau de concentration en dioxine, 1000 fois supérieur à la normale. Par conséquence, la dioxine tend à rester dans l’environnement, à s’accumuler en grandes quantités dans les sols et les sédiments, contaminant la chaîne alimentaire.
À la suite de ces effets innombrables, de nombreux scientifiques et vétérans américains ont porté plainte contre des fabricants de défoliants en luttant pour la justice des victimes. L’État Vietnamien, a promulgué aussi des politiques favorisant les droits des victimes ainsi que des projets de rétablissement de l’environnement. Dans le même but, VAVA, une organisation non gouvernementale à but non lucratif, a été fondée le 10 janvier 2004. Notre objectif est de mobiliser le soutien national et international pour aider les victimes gravement handicapées dans leur vie, supporter les projets de rétablissement de l’écosystème et de protéger les droits et les intérêts légitimes des victimes dans leur lutte pour la justice.
Pouvez-vous nous citer les activités principales de VAVA mises en place au Vietnam ?
Nous soutenons les victimes de l’agent orange en leur construisant des maisons, des centres de soins et de réhabilitation fonctionnelle ou encore des centres de détoxication par le sauna. Il existe aujourd’hui un total de 26 centres dans les villes principales du pays, dont un centre se situe au district de Thach That, pas très loin du centre ville de Hanoi. Nous avons également installé des systèmes de filtration d’eau potable et dépollué une partie des sols contaminés.
Nous prenons en charge une partie des traitements médicaux et de l’assurance maladie des victimes. Grâce aux précieux soutiens de la communauté internationale, les victimes bénéficient aussi de visites médicales annuelles effectuées par les médecins étrangers.
Ensuite, l’essentiel étant de permettre aux victimes de s’insérer dans la société, nous offrons donc des bourses d’études et des fournitures scolaires à des enfants de victimes ou des enfants handicapés. Les victimes qui sont capables de travailler apprennent des métiers artisanaux simples ou sont accompagnés dans la recherche d’un emploi.
Nous luttons contre « les crimes barbares » des Américains dans le passé et protégeons les droits des victimes notamment en ayant porté plainte devant la Cour fédérale de Brooklyn, à New York, contre 37 compagnies américaines – fournisseurs des produits chimiques toxiques utilisés par l’armée américaine au Vietnam. La plainte commença du 30 janvier 2004 et dura jusqu’en mars 2009. Mais la cour a rejeté cette plainte. Le juge a conclu que les conséquences de l’épandage des produits chimiques sur la santé des victimes ne sont pas prouvées clairement ett que l’agent orange n’est qu’un herbicide. Cela exprime tout simplement qu’ils réfutent leurs responsabilités.
Après l’échec de cette affaire, avez-vous poursuivi votre combat pour rendre justice aux victimes de l’agent orange ?
Oui, bien sûr. Malgré son échec, la plainte a provoqué un élan de solidarité et un vent de lutte pour la justice chez les Vietnamiens en particulier et dans la communauté internationale en général. En réponse au refus du tribunal américain, le Tribunal International d’Opinion organisé par l’Association Internationale des Juristes Démocrates s’est tenu du 15 au 16 mai 2009 à Paris. L’objet du tribunal est d’établir les responsabilités et de déterminer objectivement les réparations auxquelles ont droit les victimes de l’agent orange tout en mobilisant l’opinion internationale.
M. NGUYEN Van Rinh, président de VAVA, a présenté des observations complémentaires concernant l’état de santé des victimes et la détérioration de l’environnement au sud du pays. 27 victimes venues du Vietnam, des Etats-Unis et de Corée, des témoins et des experts scientifiques ont fait leurs dépositions. En conséquence, le Tribunal International d’Opinion de Paris condamna conjointement les États-Unis et les compagnies américaines à une somme permettant la constitution d’une « commission Agent Orange » vietnamienne.
En étant l’une des victimes présentées au Tribunal International d’Opinion, Mme TRAN To Nga, une ancienne résistante vietnamienne devenue française, a intenté individuellement, avec l’aide de Me William Bourdon, un procès contre 26 compagnies chimiques américaines, dont Monsanto en 2014.
Un tribunal international qui s’est réuni en 2016 à La Haye (Pays-Bas) a accusé Monsanto de violation des droits de l’homme, d’impact négatif sur l’environnement ainsi que du crime d’écocide.
Les États-Unis ont donc financé 110 millions de dollars pour le projet de décontamination de l’aéroport de Da Nang. Une somme de 390 millions de dollars sera versée pour une opération similaire de dépollution pour l’aéroport de Bien Hoa. « Nous déplaçons la terre ensemble et prenons les premières mesures pour enterrer l’héritage de notre passé », a déclaré l’ambassadeur des Etats-Unis au Vietnam. Cependant, la question de la compensation à verser aux millions de victimes vietnamiennes reste toujours en suspens car les États-Unis ont continué à ignorer et à refuser leurs responsabilités à rendre justice aux victimes.
Comme la lutte pour la justice des millions de victimes de l’agent orange constitue une tâche fondamentale de la VAVA, nous poursuivront donc notre combat jusqu’à ce que justice soit faite.
Quelles sont les difficultés auxquelles est confronté VAVA ? Quels sont vos projets de soutien aux victimes de l’agent orange à l’avenir ?
Il existe encore de plusieurs millions de personnes exposées au défoliant qui ne bénéficient pas d’assistance. Particulièrement, de nombreux enfants de la troisième génération naissent à leur tour avec des infirmités et des malformations susceptibles d’être causées par l’agent orange, cependant, ils ne reçoivent pas d’aides financières et médicales appropriées. Concernant les victimes qui peuvent bénéficier de politiques prioritaires de façon convenable, nous proposerons aussi au gouvernement de modifier la grille d’allocations variant selon le taux de gravité de la maladie de chaque victime.
En outre, la mobilisation des ressources financière est aussi au cœur de nos préoccupations. Comme des millions de victimes vivront dans des conditions extrêmement difficiles durant toute leur vie, il s’agit donc d’une très longue et difficile aventure pour laquelle nous recherchons toujours des associations ou des donateurs qui pourront nous accompagner à long terme.
Auriez-vous un message à transmettre aux lecteurs du blog Carnets d’Asie ?
La tragédie de l’agent orange n’est pas une douleur individuelle mais de toute une nation et même de l’humanité entière. Aider ensemble à soulager la douleur des victimes n’est pas seulement une affaire humanitaire, mais c’est une action de reconnaissance envers les personnes qui ont rendu service à la Patrie et à la paix d’aujourd’hui. Nous aimerons qu’ils nous apportent leur soutien sous quelque forme que ce soit et bien sûr en nous aidant à trouver des donateurs pour réaliser nos projets toujours incomplets.
Merci beaucoup M. NGUYEN The Luc pour vos réponses et pour cette belle rencontre d’aujourd’hui.
Crédit photo : VAVA
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